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Bernard Francou et l'évolution des glaciers tropicaux des Andes

Écrit par Marc Turrel


Cette page est reconstituée à partir d'un enregistrement (2015 ?) et dont le lien ne semble plus exister. Compte tenu des changements climatiques observés (2023), il me paraissait intéressant de l'incorporer ici.


Si l’Antarctique et le Groenland fondent, le niveau des océans monterait de 60 mètres. Des villes comme Guayaquil, New York et Londres disparaîtraient…
Depuis plus de quinze ans, le glaciologue français étudie les glaciers des zones tropicales des Andes. Son diagnostique sur l’évolution des glaciers fait froid dans le dos…

Prélèvement d'échantillons de glace au sommet du Chimborazo en Equateur



Bernard Francou est depuis toujours un passionné des montagnes. Il étudie la géomorphologie à Paris et fit sa thèse sur « le Flux des déchets en Haute Montagne ». Au début des années 80, il commençe à se consacrer à une autre grande passion : les glaciers. En 1981, il entre à l’Institut de Recherche pour le Développement, institution dédiée à étudier et à favoriser la relation de l’homme avec l’environnement. Puis il se rend en Bolivie, où il vécut pendant sept ans. Il passa ensuite quatre ans en Equateur. En septembre 2006, Bernard Francou s’installe à nouveau en Equateur, où parallèlement à l’étude du comportement des glaciers, il est le représentant de l’institution dans la région andine où il publie un nouvel ouvrage « LES GLACIERS A L’EPREUVE DU CLIMAT » (ED. IRD et Belin à Paris).

Andes Magazine  : Quel est à présent votre diagnostique sur le processus de la déglaciation ?

Bernard Francou: Il a eu une accélération très nette du recul des glaces à partir des années 1976-1980. Dans les Andes, ce processus a été lié au réchauffement du Pacifique Central, là où on a observé une augmentation des phénomènes dits du « Niño ». Nous pouvons dire qu’à présent le recul dramatique des glaciers est dû en premier lieu au réchauffement du Pacifique, lequel est local, ensuite à l’effet du réchauffement global de l’atmosphère, phénomène qui lui se rencontre partout dans le monde.

A.M: De combien va augmenter la température ?

B.F:… Actuellement, dans les Andes centrales, entre la Colombie et la Bolivie, nous en sommes à une augmentation de température de 0.33 à 0.34°C par décennie, ce qui signifie que dans trois décennies, nous parviendrons à une baisse de 1 °C, ce qui est considérable, en tenant compte que ceci correspond à une élévation des isothermes en 150 mètres en hauteur.

… Selon les modèles du climat, il y a pour l’avenir plusieurs scénarios possibles. Un scénario relativement modéré, avec une augmentation des températures entre 2 et 3°C à la fin du 21ème siècle, ce qui est déjà considérable. Et puis il y a des scénarios plus catastrophiques, avec une augmentation de la température dans les Andes qui pourrait atteindre les 5 à 6 degrés. Pour nous les glaciologues qui travaillons sur les glaciers des Andes, il s’agit de simuler la réponse des glaciers aux augmentations de la température.



A.M: Cela affecte-t-il davantage les petits ou les grands glaciers ?

B.F: Le cas le plus dramatique est celui des petits glaciers de moins d’un kilomètre carré, situés à basse altitude, à moins de 5.500m au-dessus du niveau de la mer. C’est le cas de glaciers ici en Equateur, comme le Carihuayraso, l’Ilinizas Sur ou le Sara Urcu etc. Ces petits glaciers sont les plus menacés, puisqu’ils sont totalement déséquilibrés par le climat actuel, c'est-à-dire avec la ligne d’équilibre régionale qui se trouve actuellement proche des 5.100m.

La ligne d’équilibre des glaciers, c’est ce que les anciens géographes appelaient « la limite des neiges éternelles ». Cette ligne d’équilibre du glacier, c’est l’endroit où le bilan du glacier est 0 : le glacier perd toute l’accumulation de neige ou de glace qu’il reçoit mais pas plus. Plus haut, c’est la zone d’accumulation, où le glacier conserve une partie de la neige ou de la glace qu’il reçoit pendant toute l’année. Et au-dessous de cette ligne, l’équilibre est la zone d’ablation, où le glacier perd tout ce qu’il reçoit plus tout ou partie de la glace qui glisse depuis le haut. Alors, ces glaciers, se trouvent actuellement au-dessous de la ligne d’équilibre régional et, bien entendu, ils n’ont d’autre choix que de disparaître si les conditions actuelles se maintiennent.

A.M: Vous parlez de l’Equateur ou de l’ensemble de la Cordillère des Andes ?

B.F: Chacaltaya en Bolivie était un glacier avec une piste de ski qui a été la plus haute du monde, lorsque l’on a commencé à pratiquer ce sport vers les années 1940. Il se réduit actuellement à 3 taches discontinues de neige. Chacaltaya (5.395m) est le glacier typique de petite taille situé à moins de 5.500m. Et le Chacaltaya va disparaître dans quelques années. Probablement avant 2010.

Ici en Equateur, le Chimborazo, Cayambe, Antisana appartiennent encore aux glaciers de grande taille et de haute altitude qui possèdent encore de vastes zones d’accumulation. Comme le Cotopaxi qui entre dans la même catégorie, il est probable que ces glaciers subsistent au milieu de ce siècle, même si les conditions climatiques deviennent encore plus hostiles que les actuelles depuis 30 ans.

Bernard Francou à l'IRD de Quito

A.M: Quel est le scénario pour les Andes dans 20 ou 30 ans ?

B.F: Des villes comme La Paz en Bolivie dépendent beaucoup des glaciers, parce qu’elles s’approvisionnent de leurs eaux. De la même manière, l’irrigation dans le désert péruvien, dans la zone de la côte centrale, dépend également beaucoup de la contribution des glaciers de la Cordillère Blanche, de Huayhuash, du Raura et de la Cordillère centrale. Dans l’Himalaya, nous savons également que la contribution des glaciers est très importante pour la vie de millions de personnes. En Inde et en Chine, quand les glaciers fondent, il y a des conséquences également dans le domaine des risques naturels, avec la possibilité que des lagunes situées en dessous des glaciers se vident de façon intempestive, comme dans la Cordillère Blanche. Bien entendu, la fonte des glaciers affecte également le niveau des océans, mais plutôt les grands champs de glace, comme l’Alaska, la Patagonie, et surtout les calottes glaciaires, Groenland et Antarctique. Les glaciers tropicaux, dans le cas d’une fonte totale, n’affecteraient pas le niveau de la mer de plus d’une fraction de millimètre … Leur intérêt se trouve dans le domaine de la climatologie, en tant qu’indicateurs du changement climatique, et dans le domaine de la ressource hydrique comme les cas mentionnés plus haut.

A.M: Comment peut-on affronter cette situation ?

B.F: Il est probable que si demain nous marchions ou bien que nous arrêtions toute sorte de pollution, par inertie, le phénomène durerait plus d’un siècle. C’est la durée de permanence du dioxyde de carbone, le principal gaz à effet de serre dans l’atmosphère. L’océan également a une inertie considérable, et la chaleur qu’il est en train d’accumuler à l’heure actuelle, il peut la restituer dans un laps de temps qui peut se mesurer sur plusieurs siècles, voire un millénaire. Il n’est pas facile de trouver la réponse appropriée à un problème de cette ampleur. Mais nous pouvons faire en sorte que le phénomène soit moins grave. Il est préférable d’avoir une augmentation de 2°, ce que nous aurons probablement dans 50 ou 100 ans, si nous stabilisons les émissions de gaz, que d’avoir 5 à 6°C si nous ne faisons rien et nous ne prenons aucune mesure préventive ! Alors, il est vital que nous prenions – d’abord les pays les plus développés économiquement, mais les autres également – des mesures sérieuses et concertées pour s’opposer au réchauffement. Si nous attendons davantage, les mesures devront être drastiques et politiquement insupportables, avec des conséquences très graves pour les conditions où devraient vivre nos enfants et petits-enfants. Il y a des indices qui montrent que le Groenland et des parties (jusqu’alors limitées) de l’Antarctique commencent à fondre, et je rappellerai que la fonte complète du premier seulement (Groenland) provoquerait une élévation d’environ 7 mètres du niveau des océans, effaçant de la carte des régions côtières et changeant la géographie de la planète.

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